Les cours intérieures, pivots de l'urbanité

Pour qui veut connaître l'envers du décor budapestois, se glisser au petit matin dans les pas de ceux qui entrent et sortent des immeubles est riche de promesses. Budapest raisonne de centaines de cours intérieures d’une diversité renversante et insoupçonnable : la façade sur rue d’un bâtiment ne laisse jamais rien présager de la cour qu’il renferme.
Ni son plan (régulier, triangulaire, en trou de serrure...), ni son style (néo-Renaissance, néo-classique, art déco, éclectique), ni ses matériaux (brique, crépi, voire faïence), ni ses tonalités.
Et comme toujours en architecture, tout est affaire de proportions : nombre de cours trop profondes et étroites renvoient à une atmosphère quasi carcérale ; à l’inverse un rapport au sol et au ciel plus équilibré se traduit par l’appropriation commune de la cour, transformée en lieu d’agrément voire en jardin potager, parfois en place commerçante (citons les fameux "kerts" de Budapest, ces bars alternatifs qui investissent les cours et jusqu'aux appartements des immeubles, dans le 8e arrondissement).
Trait caractéristique, dans l’immense majorité des cours de la Budapest du XIXe siècle (comme nombre de villes à travers l’Europe centrale et orientale), les appartements sont desservis de l’extérieur par des balcons filants ou des galeries courant tout autour de la cour. Festons de ferronneries d’art, balcons d’angle, colonnades et galeries parfois transformées en vérandas, les coursières participent largement de l’esthétique du lieu.

Un lieu charnière de l'urbanité
A l’origine du système de desserte par coursières, la volonté d’aboutir, en pleine Révolution industrielle, à un consensus social à l’échelle de l’îlot en évitant la ségrégation : bourgeois et ouvriers habitaient dans les mêmes immeubles, les premiers investissant les appartements sur rue, les seconds les appartements sur cour, avec escaliers différenciés.  
Ce consensus social se retrouve dans le langage courant : les coursières, appelées « gang » (vocable que l’on retrouve en anglais dans gangway pour désigner les passerelles desservant les cabines de bateau), désignent aussi en hongrois le palier, le perron ou le seuil.
Dans les bâtiments bien proportionnés et à l’esthétique poussée, les cours et leurs coursières fournissent cette épaisseur de l’espace indispensable entre sphères privée et publique : des lieux de transition, de gradation, d’échange restreint et de sécurisation, à la croisée entre ville et jardin.