Les trouées d’Ákos CZIGÁNY

Le jeune photographe hongrois Ákos Czigány s'est introduit dans les cours intérieures de Budapest pour en saisir les découpages du ciel. Une variation sur un thème à l'épure plus complexe qu'il n'y paraît au premier regard.

Un florilège architectural

Les amateurs de patrimoine peuvent s'en délecter. La série de clichés, fondée sur un protocole photographique rigoureux et efficace, s'apparente à un remarquable travail d'inventaire : d'un seul coup d'oeil les cours s'y révèlent dans toute leur diversité, avec leur plan régulier ou asymétrique, leurs coursières en encorbellement, leurs colonnades superposées, leurs oriels et leurs modénatures.
Mais "l'inventaire" en question est trop limitatif et ne réfère à aucune adresse. Surtout, l'esthétique et l'abstraction à l'oeuvre portent la série Ciels au-delà du documentaire.

Aux sources de la photographie

Ákos Czigány, dans l'intelligence de son média, pousse à l'extrême l'esthétique du contraste : noir et blanc, ombre et lumière, plein et vide, matériel et immatériel, en renvoyant à l'essence même de la technique photographique - celle du positif et du négatif. Jusqu'à troubler nos références quand les quatre façades d'une cour deviennent le cadre d'une image absente (2e cliché).

De l'abstraction...

Car les Ciels n'ont de ciel que le nom. Aucun nuage, aucune nuance atmosphérique, aucune temporalité, mais de pures trouées lumineuses, quasi irréelles, qui neutralisent des poussées géométriques implacables héritées du constructivisme : des perspectives ascendantes, convergentes et écrasantes, qui fonctionnent dans tous les sens et dont l'abstraction rejette l'humain à la porte de l'image, là où finissent précisément les coursières et où commence l'univers retranché des appartements.

Ces trouées, parce qu'elles ne sont pas l'empreinte d'un ciel photographié à tel instant en tel lieu, fonctionnent comme des hors champs en plein centre de l'image, et se répondent les unes les autres comme autant de fragments négatifs qui conditionnent la tension de l'oeuvre.

... à la sensibilité

Dans ce degré d'abstraction, c'est encore hors champ que point la sensibilité : l'homme est partout présent par son absence, à travers la bascule de son regard comme à travers le visage intérieur de son univers construit. Et Czigány de réintroduire ce rapport de l'homme à son milieu par une photographie - une seule - volontairement orientée, où le mur lisse devient sol, la cour corridor, la trouée porte (dernier cliché).

La série Ciels (Egek en hongrois), que l'Institut français de Budapest a exposée du 14 janvier au 18 février 2011, a valu à son auteur le prestigieux prix Lucien et Rodolf Hervé en 2010.